Le dîner
Et c'est par les dîners qu'on gouverne les hommes ».
La conversation est un art qui se dispute au centre de la vie sociale et dans lequel l'esprit est roi. A un dîner, il incombe aux maîtres de maison de mener la conversation ; de la raviver quand elle s'éteint, de la rattraper quand elle dérape et de veiller à ce que chacun y participe. Si ce rôle est bien joué, chaque invité aura de la reconnaissance envers ses hôtes, comme le dit La Bruyère : " L'esprit de la conversation consiste bien moins à en montrer beaucoup qu'à en faire trouver aux autres. Celui qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit l'est de vous parfaitement."
Il est des sujets qui ne doivent être abordés en dehors d'un cercle familial ou très intime, sous peine de détruire l'ambiance d'un dîner ; ce sont la religion, la politique et l'argent.
Jusqu'à huit personnes, il est facile de soutenir une conversation générale pour la table, mais au-delà le plus souvent, plusieurs discussions la divisent. Les conversations sont dans ce cas en principe plus intimes, davantage portées sur les gens eux-mêmes.
La politesse exige que l'on parle à chacun de ses voisins ou voisines, et cela même si l'un est très amusant et l'autre vraiment casse-pieds. Il est rare qu'il n'y ait pas un meneur à un dîner, celui qui a toujours quelque chose de drôle à raconter et qui garantit la bonne ambiance ; il veillera cependant à laisser à chacun la possibilité de s'exprimer, et ne coupera pas la parole aux moins loquaces. A l'inverse, il est des convives qui, par timidité ou mauvaise humeur, n'ouvrent pas la bouche, ce qui est aussi mal élevé que de monopoliser la conversation.
A chacun de trouver la bonne mesure dans l'art de la conversation, sachant qu'une locution placée à bon propos est souvent plus efficace et plus remarquée qu'un long discours.
Un dîner est en principe un moment agréable que la mauvaise tenue d'un convive peut facilement transformer en spectacle d'horreur. La bonne éducation française repose sur le respect d'autrui et il n'y a qu'à imaginer ce que l'on n'aime pas subir à sa table pour savoir comment se tenir ou ne pas se tenir.
Pour être agréable à ses voisins, il suffit de :
- Se tenir droit sur sa chaise, sans s'avachir ni se balancer.
- Poser les mains sur la table, poignets de part et d'autre de l'assiette
- Ne pas mettre son coude devant son assiette ni derrière comme pour la protéger de l'ennemi.
- Se servir du morceau qui est devant soi et ne pas retourner tout le plat pour choisir son plat préféré.
- Attendre que la maîtresse de maison ait commencé de manger pour soi-même commencer.
- Ne pas saler avant d'avoir goûté.
- Lever son coude vers la bouche et ne pas se pencher sur son assiette.
- Macher la bouche fermée et sans bruit.
- Ne jamais prendre la parole la bouche pleine.
- Ne pas toucher les aliments de ses mains excepté le pain.
- S'essuyer la bouche avant de boire et après avoir bu.
- Ne pas boire la bouche pleine.
- Ne jamais porter son couteau à la bouche.
- Ne se resservir que lorsque la maîtresse de maison invite à le faire.
- Demander le sel plutôt que de se coucher sur la table pour l'attraper.
- Ne jamais passer le bras devant son voisin.
- Couper un petit morceau de pain avant de le porter à la bouche , et non croquer dedans, ou le déchirer avec ses dents.
- Ne pas saucer son assiette.
- Ne pas incliner son assiette pour récupérer la dernière goutte.
- Ne pas racler son assiette jusqu'à la dernière miette pour la rendre aussi propre qu'au début du repas.
- Ne pas poser, entre les plats, ses couverts perpendiculairement de part et d'autre de l'assiette, comme des oreilles de cockers.
- Ne pas croiser ses couverts dans son assiette lorsque l'on a fini, mais les ranger parallèlement en travers de l'assiette.
- Vider son verre (de vin) à la fin du dîner.
Il ne s'agit en aucun cas ici de donner des recettes de cuisine -laissons faire ceux dont c'est le métier -mais simplement de soumettre quelques règles nécessaires à l'élaboration d'un menu.
Traditionnellement, un dîner comporte 5 plats : potage ou entrée, plat de résistance composé de viande ou de poisson et de légumes, salade, fromages et dessert.
Lors des dîners protocolaires des menus en cartons sont disposés sur la table, et plus simplement à des dîners moins stricts il relève de la politesse d'annoncer aux convives ce qu'on va leur servir. C'est pour eux un moyen d'estimer la part qu'ils réservent à tel ou tel plat.
Elaborer un menu
Il est certains mets qu'il vaut mieux éviter de servir à un dîner de peur d'incommoder l'un des convives ; ce sont les fruits de mer et en particulier les huîtres, les abats et les plats très épicés ou sucrés-salés. Il peut y avoir des exceptions, notamment pour les fruits de mer, qui procurent un thème de dîner à des amateurs exclusivement.
Veiller au temps de préparation de chaque met dans l'élaboration du menu permet d'éviter les bousculades de dernière minute et de passer sa soirée à la cuisine; il est judicieux d'alterner des plats chauds et des plats froids, ou des plats en cocotte et des plats au four pour ne pas embouteiller la cuisinière. On peut également prévoir un plat qui se prépare à l'avance ; la majorité des plats en sauce sont meilleurs réchauffés par exemple.
D'une manière générale, il convient de veiller au bon équilibre du menu en commençant par bannir les répétitions : on ne propose pas une tourte en entrée et une tarte en dessert ; une entrée en sauce et un ragoût ; une salade de nouilles et un gratin dauphinois, une fondue savoyarde et un plateau de fromages,... exception faite de certains dîners à thèmes comme les " dîners crêpes ".
Le marché de saison est souvent un gage de fraîcheur qui permet en outre d'apprécier chaque légume à son heure. Proposer une variété de légumes apporte un raffinement supplémentaire au dîner.
Le dessert peut quant à lui pallier un manque ou au contraire atténuer des excès, ainsi lorsque le dîner est très riche, on proposera un sorbet ou une salade de fruits, si au contraire il est léger on préférera un gâteau aux noix ou un fondant au chocolat.
Le choix du vin
Le vin compose le point d'orgue du dîner, il est la preuve du savoir bien vivre et nul dîner ne pourrait s'en passer. La difficulté repose en un mariage harmonieux entre les mets et les vins, sachant que la mode d'hier qui consistait à changer de vin en même temps que de plats semble aujourd'hui s'arrêter sur le choix d'un vin unique pour accompagner tout le dîner.
De nombreux ouvrages d'oenologie dévoilent aux amateurs toutes les subtilités du vin, ce que ce paragraphe n'a pas la prétention de faire, si ce n'est de rappeler quelques règles élémentaires :
- Les vins blancs secs, servis très frais, accompagnent les poissons et les crustacés.
- Les viandes rôties et les volailles apprécient les vins rouges légers (bordeaux, pays de la Loire).
- Les bourgognes capiteux se marient avec les gibiers et les plats relevés.
- Les vins blancs liquoreux accompagnent le foie gras et certains desserts.
- Quant au Champagne, il apprécie tous les mets sauf les viandes rouges.
- Le vin rosé enfin est réservé aux déjeuners d'été ou dîners entre intimes.
Les salades et crudités tolèrent mal le vin en général.
Rappelons également qu'on doit commencer par servir les vins les plus légers et finir par les plus corsés.
Une fois le dessert terminé, la maîtresse de maison donne le signal de la fin du dîner en se levant et invite ses convives à se rendre au salon. C'est l'occasion pour les uns de se dégourdir les jambes, pour d'autres d'allumer une cigarette ou un cigare, et pour d'autres encore de se repoudrer le nez discrètement.
C'est au salon seulement que l'on propose le café, les infusions -de plus en plus appréciées y compris par les hommes -et les digestifs. On appréciera, surtout si on n'est pas servi, d'avoir préparé à l'avance un plateau avec tasses à café, tasses à thé, verres à liqueur, à armagnac, à cognac, etc... Si un invité a apporté quelques chocolats ou douceurs, c'est également le moment de les offrir.
L'usage est d'apporter des rafraîchissements une demi-heure à une heure après les boissons chaudes -qui doivent être interprétés par les gens bien élevés comme le signe du départ -mais certains convives auront déjà émis le souhait de partir, surtout en semaine si le dîner a commencé tard.
Cependant, il n'est pas rare d'être confronté à des invités que ni le départ des autres, ni les signes manifestes de fin de soirée ne semblent convaincre de se retirer. Nombreuses sont les anecdotes relatant l'attitude de maîtres de maison pour se débarrasser des sans-gènes ; s'éclipser et revenir au salon en robe de chambre, se mettre à ranger la cuisine, dire franchement que l'on aimerait bien se coucher... Chacun s'accordera en fonction de son tempérament à adopter la bonne attitude et se promettra de ne plus jamais réinviter ledit grossier personnage.
Que le dîner ait été excellent ou très médiocre, il est nécessaire de remercier la maîtresse de maison dans les jours qui suivent, et de rendre l'invitation assez rapidement.
Au-delà du plaisir de recevoir, les maîtres de maison doivent n'avoir qu'un seul but : faire passer une soirée d'exception à leurs invités, c'est-à-dire redoubler d'attentions pour leur bien être.
Pour commencer, ils choisiront -en fonction du ton du dîner -une tenue vestimentaire qui sera suffisamment élégante mais pas trop, pour ne pas mettre mal à l'aise les invités qui seraient moins habillés.
D'une manière générale, ils éviteront tout signe ostentatoire de richesse ou déballage de mauvais goût sur la valeur de leurs biens ou encore des mets et des vins servis. A l'inverse, on ne les écoutera pas se plaindre de leurs problèmes d'argent, ni insister sur le plat de résistance trop cuit qui obligerait les convives à nier une pure vérité !
La maîtresse de maison est la garante du bon rythme de la soirée ; elle choisira les moments opportuns pour changer de pièce, elle saura tirer profit des changements de plats pour dynamiser le dîner, elle s'assurera de la juste cadence de la conversation...
Tout au long du dîner, amphitryon et amphitryonne veilleront à ce que chacun ne manque de rien, sachant que le service du pain et du vin incombent normalement au maître de maison. Pendant l'apéritif déjà, s'il se prolonge en raison du retard de l'un ou l'autre convive, il ne manquera pas de proposer un second service.
La maîtresse de maison ou le maître d'hôtel, s'il y en a un, rapporteront entre les deux services les plats à la cuisine pour les maintenir au chaud.
Le débarrassage se passera discrètement pour ne pas perturber les conversations en cours ; au besoin il sera retardé de quelques minutes s'il risque de couper court à un débat passionnant. On débarrassera les assiettes par la droite, seulement lorsque tous les convives auront fini, et réservera le tri peu gracieux des déchets pour la cuisine. On se contentera à table de superposer quelques assiettes en croisant les couteaux et les fourchettes.
Le service à table est un autre point délicat pour la maîtresse de maison à moins qu'elle ne soit servie. Dans le cas contraire, elle aura conçu son menu en veillant à ne pas cumuler les plats qui nécessitent une grande préparation de dernière minute, qui l'obligent à s'absenter trop longtemps de la table et ne plus remplir son rôle d'hôtesse. Certaines maîtresses de maison passent plus de temps à la cuisine qu'avec leurs invités, ce qui est déjà fort désagréable ; il suffit qu'en plus elles appellent leurs maris à l'aide pour que l'ambiance du dîner tombe totalement.
La présentation des mets
Chaque mets doit être présenté dans un plat adéquat (creux pour les mets en sauce, allongés pour les poissons ou les rôtis, ronds pour les entrées froides, soupière, raviers, légumier, saucière etc...), si possible assorti au service de table ou encore en argent. Seuls les gratins, d'ailleurs réservés aux dîners intimes, acceptent d'être présentés dans leur plat de cuisson.
La présentation doit être soignée, les rôtis coupés en tranches, les volailles en morceaux ; on peut néanmoins avant de la découper, présenter la pièce de viande, s'il s'agit d'un gibier ou d'une volaille.
Les fromages que l'on aura choisis nombreux et variés se présentent sur un plateau à fromage que l'on peut décorer de feuilles de vigne ou d'un paillasson en tiges de blé. On découpe à l'avance une part dans les grands fromages entiers afin de ne pas dissuader les amateurs d'y goûter.
Le service des mets
Dans le service " à la française ", couramment pratiqué, le plat est présenté à la gauche de la personne qui se sert elle-même, contrairement au service " à l'anglaise " où c'est le personnel qui sert les convives. L'ordre du service est celui de la Préséance, c'est-à-dire qu'il suit le plan de table : les femmes d'abord se servent, de la plus respectable jusqu'à la maîtresse de maison ; les hommes ensuite, du plus élevé jusqu'au maître de maison ; les enfants quand ils sont présents se servent en dernier. Dans les dîners très intimes et pour les plats familiaux, il est possible de pratiquer le service " plat sur la table ", où chacun se sert dans le plat posé au milieu de la table.
Chaque convive doit se servir modérément, ni trop ni trop peu, et se resservir lors du second passage du plat -sauf du potage et du fromage qui ne se re-proposent jamais. Mieux vaut proscrire les " j'ai plus faim ", " j'aime pas ", ou " ça fait grossir " terriblement vulgaires, en revanche si l'on est obligé pour des raisons de santé de refuser un mets, on le dira discrètement.
Le service des boissons
Le service du vin et des boissons en général, s'effectue au contraire toujours par la droite. Le maître d'hôtel, s'il y en a un, commence par servir le maître de maison -ou ce dernier se sert lui-même -un fond de verre afin de goûter le vin et vérifier ainsi qu'il n'est pas bouchonné ; et le service reprend ensuite son cours normal.
Contrairement à l'eau, une femme ne se sert jamais de vin toute seule, elle attend que son voisin le fasse. Néanmoins certains maîtres de maison ou hommes en général, qui doivent considérer que les femmes n'apprécient pas le vin, se contentent de servir leur propre personne. Dans ce cas, la voisine lésée attendra que quelqu'un s'aperçoive de son désarroi et pourra même, si son goujat de voisin persiste dans son attitude, lui faire remarquer avant la fin du dîner que son verre est vide ! Le rôle des amphitryons est en premier lieu de s'assurer que les convives ne manquent de rien, ce qui ne semble quand même pas si compliqué, et rappelons qu'un verre doit toujours être plein (jamais toutefois au-delà des trois quarts).
Les bouteilles doivent être ouvertes à l'avance pour laisser le vin s'aérer ; on peut même le décanter dans une carafe à vin. Si le vin est servi dans une carafe, on laisse visible une bouteille de manière à ce que chaque convive puisse connaître le nom du vin qu'il déguste. On ne sert pas de vin avant et pendant le potage.
Des mets et des maux
Certains mets se dégustent d'une manière qui relève de l'étiquette et dont voici quelques principes :
- Le pain se découpe à la main par petits morceaux qui vont tout entier dans la bouche. Pas question de le déchirer avec ses dents ni d'en faire des boulettes.
- Le foie gras ne s'étale pas comme du pâté sur du pain, il se découpe à la fourchette et rejoint sous le palais un morceau de toast.
- Après les fruits de mer, il est d'usage de mettre des rince-doigts (petites coupelles posées sur des soucoupes à la gauche de chaque convive, et remplies d'eau tiède parfumée au citron). On trempe ses doigts dedans avant de s'essuyer les mains dans sa serviette.
- Les asperges se dégustent à la fourchette en abandonnant dans l'assiette la partie plus ferme qui ne cède pas au tranchant de la fourchette. Plus familièrement on peut les saisir à la main et les tremper dans la sauce.
- Les œufs et la salade ne se coupent jamais avec un couteau. Autrefois les lames n'étaient pas en acier inoxydable et noircissaient au contact de la vinaigrette et du jaune d'œuf. Rien n'empêche de le faire aujourd'hui direz-vous ? Certes, si ce n'est la preuve de votre bonne éducation.
- Le fromage se coupe à l'aide d'un couteau à fromage et se dépose sur un petit morceau de pain préalablement découpé.
- Les gâteaux se mangent de préférence avec une fourchette, plus raffinée que la cuiller que l'on réserve pour recueillir la sauce s'il y en a.
- Les pommes poires, pêches et autres fruits à peau fine, s'épluchent et se coupent avec un couteau et une fourchette ; et ne se croquent à pleines dents qu'au jardin...
En cas de doute sur l'attitude à adopter face à tel ou tel aliment, contentez-vous d'imiter votre hôtesse.