Les trois coups (de génie) de Molière…
Le succès. Molière serait l’auteur français actuel le plus joué dans le monde, devant l’éternel rival, William Shakespeare. Bien sûr que cela reste un rien théorique, mais l’assertion ne trouve aucun démenti. Quoi qu’il en soit, le génie de Molière rencontre, quatre cents ans après sa naissance, un incroyable écho. Même aux États-Unis, des colloques, des journées d’étude, des expositions mettent à l’honneur notre n°1 des planches ! Quel autre auteur peut se targuer de posséder « sa » maison, une Comédie-Française, temple sacré dont les ors ont brillé au firmament d’un répertoire dont chaque pièce raconte ce que nous sommes. C’est cette même maison qui programme jusqu’à l’été une saison spéciale dont la représentation très attendue de la version originelle de Tartuffe, mise en scène par Ivo Van Hove, d’après un texte reconstitué par Georges Forestier, professeur émérite de littérature française à la Sorbonne.
Les interprètes. Mais la pérennité de Molière, si elle doit beaucoup à son génie, doit tout autant à ceux qui l’ont servi. À commencer par sa propre épouse, Armande Béjart, pour qui il a écrit le rôle de Célimène dans Le Misanthrope. S’ensuivra une kyrielle de comédiennes et de comédiens jusqu’à nous, comme Jean Le Poulain, irrésistible bourgeois gentilhomme des années 50-60, Gérard Philipe, Francis Huster, Michel Bouquet, qui aurait interprété plus de quatre cents fois son maître ou Guillaume Gallienne, actuellement sur les planches dans Le Malade imagine. Sans oublier évidemment celui dont l’interprétation si personnelle au cinéma a ouvert la voie d’un nouveau public à L’Avare : Louis de Funès !
Le secret. Pourtant Molière, dont plus d’une trentaine d’œuvres ont révélé le génie, tout autant que les profondeurs du genre humain, n’aura jamais écrit une ligne sur lui. Comme si seule comptait l’œuvre. Cette célébrité demeure inconnue. Une vie où se mêlent légendes, incertitudes et rares vérités. Jusqu’en 1820, on ignorait même son acte de baptême, daté du 15 janvier 1622, qui détermina donc sa date de naissance, à un ou deux jours près. On le fit longtemps mourir sur scène, alors qu’il est établi qu’il rendit son dernier souffle, le 17 février 1673, chez lui, 40 rue de Richelieu, à Paris. Une mort subite qui intervint après avoir incarné l’hypocondriaque Argan. Ironie du sort pour un malade ce soir-là si peu imaginaire.
Reste l’héritage qui de siècle en siècle s’enrichit. Il est aussi celui de la France, dans ce qu’elle a de plus sacré, son génie des lettres. L’auteur, le comédien et le spectateur, en une indissociable trinité, assurent la traversée des âges. En ces temps difficiles pour la scène française, le plus grand hommage qu’on puisse encore rendre à Molière, c’est de retourner au théâtre !
© L. de Funès dans L’Avare, 1980.