À vos plumes !
Que dire en effet d’une langue où l’on remercie un employé dont on n’est pas satisfait, où on lave une injure, mais on essuie un affront, où l’on pose une question, mais on soulève un problème, et où les malheureux qui sont dans de beaux draps passent des nuits blanches à force d’avoir des idées noires et du fait même n’arrivent pas à dormir sur leurs deux oreilles ?
Comment expliquer aussi la présence de l’estomac dans les talons, des pieds dans le plat, du chat dans la gorge, de la confiture chez les cochons, du rubis sur l’ongle, du soupçon dans le lait, de la grimace dans la soupe, des fourmis dans les jambes, sans parler de la curieuse cohabitation des vessies avec les lanternes ? De quoi avoir vraiment la puce à l’oreille…
Est-ce très normal que persifler ne prenne qu’un « f » et siffler deux, que hutte ait deux « t », mais cahute un seul ? Qu’on écrive traditionnel, mais traditionaliste, millionième, mais millionnaire, patronat et patronner, déshonneur et déshonorer ?
Gazouillis et tréfonds ont un « s » alors qu’il ne se prononce pas, fantomatique n’a pas d’accent circonflexe et fantôme en a un !
Drôle de pays, en effet, où il ne faut pas confondre : scène, cène, seine, saine ou chair, chaire, cher, et où pendule est masculin entre les mains d’un radiesthésiste et féminin entre celles d’un horloger.
Mais il y a mieux : amour, délice et orgue, masculin au singulier et féminin au pluriel ! Ce qui faisait d’ailleurs dire à Courteline : « Je ne me vois pas en train d’écrire : “J’ai vu un orgue magnifique. C’est le plus beau des plus belles.” »
Quant à archives, fiançailles et ténèbres, ils sont, eux, condamnés au pluriel ! Bref, tout cela peut paraître bien singulier…
Ne manquez pas de lire, ou relire les billets suivants : « Drôle de langue », « Usez et abusez des mots rares et précieux » et « Y a pas de soucis ! »
Encrier © Flickr.