De grâce, n’écorchez pas mon nom…
Nous disons aujourd’hui le « roi » sans songer qu’il y a deux siècles ou plus, on évoquait le souverain en prononçant les mêmes lettres avec une autre intonation : le rouè. Hé oui, aujourd’hui nous parlons « dur », à la parisienne. En réalité, nos vieux noms de famille ont traversé le temps et conservé les prononciations anciennes encore saupoudrées du parfum de nos provinces.
Le promeneur aujourd’hui énonce, sans omettre une syllabe, le village de Broglie (broglii), de Castries (castrii) ou la ville d’Uzès (uzèss). Mais il tend l’oreille en attendant la suite, face à un M. de Breuil, de Castre ou d’Uzé. Au fait, faut-il dire Beauvau-Craon ou bovo-cran ? – « Question de paresse, affirme l’un de leur familier. Craon est trop long à prononcer. Nous nous limitons à cran, en laissant peut-être un peu traîner le a, en hommage à l’accent de l’Est. » – « Avez-vous déjà dit paon pour pan ? » renchérit un autre. Ces répliques pourraient autant s’appliquer à la famille du Réau de la Gaignonnière : duréo ou duro ? Duro bien sûr, dans la douceur angevine.
Et la beauté de l’image ne doit-elle pas primer sur l’orthographe ? Imaginez-vous interpeller un Bellescize en lançant Bellès-qise alors que Mlle de Bellecise est si jolie. Il y a « belle heurette », comme on disait avant d’utiliser l’adverbe « longtemps », on se gardait bien de donner du « hé, bonjour, M’sieur de Bèsen-val » devant M. de Besenval (qui se dit besseval).
Rappelons aussi cette facétie rapportée par La Varende. Lors d’un bal donné dans une propriété normande, les cochers se seraient arrangés entre eux afin que leurs maîtres arrivent ensemble. Cela permit à l’aboyeur d’annoncer haut et fort : « MM. de Bizemont, Cumont, Belami ».
En règle générale, on n’aime pas les « s » dans les noms. Ils sifflent et les alourdissent, autant les négliger. MM. des Courtil(s), des Mouti(s), de Dura(s), de Fler(s), Fit(z)-Jame(s) et Lévi(s) Mirepoix, ne s’en portent que mieux, comme MM. de Le(s)trange et de l’E(s)pée ou encore M. de la Ville(s)bret qui se prononce villèbrè, tout simplement parce que dans l’ancien françois le es se disait è.
Il existe plus de quatre-vingt-dix noms qui se prononcent différemment de leur écriture. En faites-vous partie ? Cela pourrait être un jeu… de familles évidemment.
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Audrey Hepburn, My Fair Lady © Archive Photos / Getty Images.