À vos marques, prêts, bouquets !

Mademoiselle Emma Faucon – quel joli nom pour une demoiselle herborisant ! – écrivait en 1861 que « le langage des fleurs est de toute éternité et toujours un bouquet donné et reçu parlera au cœur et à l’imagination ». Que c’est bien dit alors que nous venons de fêter la Saint-Valentin qui a mis à la fête amoureux et… fleuristes.
À vos marques, prêts, bouquets !

Bien que Jacques Brel ait chanté que « les fleurs c’est périssable / Puis les bonbons c’est tellement bon », nous persistons et nous signons : offrez des fleurs et pas seulement à l’occasion des Saint-Valentin et autre fête des mères.

Prenez garde à ne cependant pas faire de gaffe. Si, à une mère, on peut offrir toutes sortes de bouquets, les amoureux des quatre saisons prendront, eux, quelques précautions. L’amoureux qui se morfond sera inspiré de se présenter avec un bouquet de boutons de roses et de renoncules puisqu’il signifie : « Ranimez mon espoir ». Et celui trop pressé se mordra les doigts d’avoir offert une brassée de roses jaunes, le jaune symbolisant l’infidélité. Qu’il évite aussi les roses sans épines, synonyme peu flatteur de plaisir facile. Qu’il préfère exposer « le feu de son cœur » au moyen d’un mélange de roses rouges et blanches. 

Quant aux charmantes petites roses pompon, image de la gentillesse, on pourra les tendre à l’âme sœur, le sourire aux lèvres et les yeux fermés. Avec elles, on ne peut pas faire d’impair ! Impair justement : c’est par une, trois, cinq, sept, bref, par un nombre impair qu’en France, il est de bon ton d’offrir les roses ! Nombreuses sont les explications qui ont été données pour justifier cette coutume. Certes, trois roses sont l’écho muet des trois mots qui forment le délicieux « je t’aime ». Mais, la vraie raison est peut-être ailleurs : parce qu’un bouquet de brins impairs est plus séduisant à l’œil qu’un bouquet pair et plan-plan, il aura sans nul doute été tentant d’en faire tout un foin symbolique. 

Quoi qu’il en soit ! Ce n’est pas tout de se laisser offrir un bouquet. Il faut savoir le recevoir. Comme nous ne sommes plus au temps des dames du Moyen-Âge brodant des fleurs sur les étoles des preux chevaliers qui combattaient sous leurs couleurs ; comme nous ne sommes pas aussi charitables que sainte Roselyne qui vit le pain porté aux pauvres changé en roses dans son tablier qu’on lui intimait d’ouvrir pour la prendre en défaut ; comme nous avons rarement l’occasion de danser au clair de lune au beau milieu des prés fleuris, comme le font les ondines du Nord et les Korrigans de Bretagne, il nous reste à mettre tout notre cœur dans l’arrangement du bouquet que l’on vient de nous tendre : remerciez plutôt deux fois qu’une, filez choisir et remplir le vase ad hoc, libérez le bouquet de son emballage, recoupez en biseau le bout des tiges et supprimez les quelques feuilles trop basses qui risqueraient d’être immergées, ébouriffez le tout avant de le plonger dans l’eau, et, d’un œil artiste, laissez vos mains papillonner et donner de l’allure à ce petit condensé de tendre nature.

 

Jean-Honoré Fragonard, La lettre d'amour © Metropolitan Museum of Art