À vos classiques !
Les scènes savoureuses relatant les usages du beau monde peuplent la littérature française. Maupassant, Balzac, Stendhal, Proust, et tant d’autres, offrent de comprendre les usages, le fameux « ce qui se fait et ce qui ne se fait pas » à travers des portraits parfois satiriques.
Qu’en était-il, au XIXe siècle, d’un jeune homme débarquant à Paris ? Le bel et ambitieux Rastignac du Père Goriot ne manque pas de faire appel à sa tante, madame de Marcillac, afin d’obtenir une recommandation : « Après avoir secoué les branches de l’arbre généalogique, la vieille dame estima que, de toutes les personnes qui pouvaient servir son neveu parmi la gent égoïste des parents riches, madame la vicomtesse de Beauséant serait la moins récalcitrante. » Et voilà qui fonctionne, puisque la vicomtesse accepte de recevoir Rastignac. On connaît les mécanismes qui s’ensuivent, une invitation en entraînant une autre, et les séduisants yeux bleus d’Eugène faisant le reste. En est-il autrement aujourd’hui ?
Dans le Rouge et le Noir, on décrypte aussi la nécessité à connaître les mille et une règles faisant « toute la différence ». Laissons Julien Sorel s’exprimer : « Il y eut des moments où, malgré ses habitudes d’hypocrisie, il trouvait une douceur extrême à avouer à cette grande dame qui l’admirait, son ignorance d’une foule de petits usages. Le rang de sa maîtresse semblait l’élever au-dessus de lui-même. Madame de Rênal, de son côté, trouvait la plus douce des voluptés morales à instruire ainsi, dans une foule de petites choses, ce jeune homme rempli de génie, et qui était regardé par tout le monde comme devant un jour aller si loin. » Voilà un mode d’apprentissage qui fâcherait bon nombre de mères aujourd’hui, mais elle a fait ses preuves à l’échelle de l’Histoire, même récente, pour ne pas dire contemporaine…
Cette courte plongée dans la littérature française ne pourrait s’achever sans évoquer Proust évidemment. Dans Le Côté de Guermantes, il décrit avec subtilité certaines attitudes : « Car, malgré les particularités individuelles, il y avait encore à cette époque, entre tout homme gommeux et riche de cette partie de l’aristocratie et tout homme gommeux et riche du monde de la finance ou de la haute industrie, une différence très marquée. Là où l’un de ces derniers eût cru affirmer son chic par un ton tranchant, hautain, à l’égard d’un inférieur, le grand seigneur, doux, souriant, avait l’air de considérer, d’exercer l’affectation de l’humilité et de la patience, la feinte d’être l’un quelconque des spectateurs, comme un privilège de sa bonne éducation. » Même si les lignes sociales ne cessent d’évoluer, certaines attitudes perdurent.
Puisse ce billet vous donner le goût de déceler, à l’occasion de vos lectures, les codes implicites de la haute société d’antan, qui demeurent les racines des manières mondaines d’aujourd’hui. À vos classiques !
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© C. Spitzweg, Le Rat de bibliothèque.