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Marie ne renonce pas, l’impossible décuple ses forces, c’est sa drogue. Elle est faite pour cela, repousser les limites, danser avec le danger, cette mort qui la frôle dès ses premières années de vie. Née le 20 février 1875 à Aurillac, Marie Félicie Elisabeth Marvingt est le quatrième enfant et l’unique fille de Félix Marvingt, receveur principal des postes et sportif accompli qui rêve de partager sa passion avec ses fils. Hélas, les trois frères aînés de Marie meurent en bas âge. Ce sera la fillette, désormais, qui portera les espoirs paternels.
À quatre ans, elle est capable de nager en rivière sur plusieurs kilomètres. En 1880, la famille Marvingt retourne s’installer à Metz, que Félix avait quitté neuf ans plus tôt, après l’annexion de la Lorraine par l’Allemagne. Marie obtient de son père d’être initiée aux arts circassiens. La voilà qui s’essaie tour à tour à être trapéziste, funambule, jongleuse.
Sa mère, malade depuis de longues années, meurt quand Marie a quatorze ans. Avec son père et son frère cadet, Eugène, de santé délicate, la jeune fille déménage à Nancy qui restera son port d’attache. Elle découvre la bicyclette, s’entraîne comme jamais dans toutes les disciplines sportives, ce qui ne l’empêche pas de passer son bachot, d’obtenir une licence de lettres, d’aborder la médecine, le droit, de devenir infirmière diplômée.
La mort frappe encore avec Eugène, emporté à dix-neuf ans, en 1897. Marie serre les dents, redouble d’activités, devient bientôt l’une des toutes premières femmes à passer son permis de conduire. Elle est vivante, pour quatre, pour cinq, pour tous les fantômes familiers qui l’entourent. Assez de deuils, les exploits, les records seront sa progéniture, l’œuvre glorieuse qu’elle laissera derrière elle.
En 1904, elle participe à sa première grande course cycliste, Nancy-Bordeaux. Cuissards ou pantalons étant interdits aux femmes, décence oblige, Marie adopte la jupe-culotte. Quatre ans plus tard, c’est le Tour de France. Les organisateurs lui refusent de pouvoir s’aligner avec les hommes. N’importe, Mlle Marvingt partira à chaque étape avec quelques minutes de retard sur ces messieurs. Sur 114 coureurs masculins, seuls 36 parviendront au terme de l’épreuve. 36 et Marie Marvingt !
En 1906, déjà, elle était la première française à nager les 12 km de la traversée de Paris. Un an plus tôt, c’était la traversée Charmoz-Grépon avec escalade de l’aiguille du Grépon qui lui valait la reconnaissance des alpinistes. Elle continuera d’enchaîner les sommets périlleux, dont la Jungfrau ou le Wetterhorn. À Chamonix, elle collectionne les médailles d’or en ski, concours de saut, patinage de vitesse.
Mais c’est le ciel qui va peu à peu devenir une passion dévorante. Le 26 octobre 1909, elle est la première femme à traverser la mer du Nord et la Manche aux commandes d’un ballon libre. Partie de Nancy, Marie parvient à éviter les falaises anglaises pour, en pleine nuit, heurter quelque arbre à l’atterrissage et être éjectée de la nacelle. À peine quelques ecchymoses. Elle a le virus, apprend à voler en avion et passe son brevet de pilote en 1910 sur monoplan Antoinette. Elle est la troisième femme au monde à l’obtenir. Un mois après, Marie Marvingt établit le premier record féminin de durée de vol avec 53 minutes. Elle enchaîne ainsi 900 vols jusqu’à la déclaration de guerre, malgré un accident dont elle réchappe par miracle. Elle concevra en outre un prototype d’avion-ambulance, mais le projet, approuvé par le ministère, n’aboutira pas, faute de financement.
Marie Marvingt arrache l’autorisation à Alexandre Millerand, ministre de la Guerre, et peut prendre part au combat aérien, au moins le temps de deux missions, en remplacement d’un pilote blessé. En ce début de 1915, elle bombarde depuis les airs la base de Zeppelins de Frescaty, au sud de Metz. Une action d’éclat qui lui vaudra la Croix de guerre, mais pas la permission de continuer à servir en première ligne.
Après ses deux missions de bombardement comme pilote de guerre, Marie Marvingt revient au sol, sert comme infirmière-major, puis réussit à rejoindre le 42e bataillon de chasseurs à pied vêtue en homme. Sous la fausse identité de Beaulieu, elle monte au front, passe 47 jours dans les tranchées avant que la supercherie ne soit démasquée. Si elle doit quitter sa section, elle obtient d’être affectée comme infirmière à une unité de chasseurs alpins en première ligne, dans les Dolomites. Marie met à profit son endurance pour évacuer les blessés à skis, parfois sous le feu ennemi. Correspondante de guerre, elle écrit nombre d’articles et continue de publier après la guerre.
Les années 20 et 30 la voient effectuer des séjours en Afrique, multiplier les conférences et poser les bases de l’aviation sanitaire. En 1939, elle reprend du service comme infirmière de l’Air. Elle a 64 ans lorsqu’elle invente un nouveau type de suture chirurgicale, adapté aux zones de guerre et organise un centre de convalescence pour les pilotes blessés. En 1949, Marie Marvingt est élevée au grade d’officier de la Légion d’honneur. Le 20 février 1955, pour ses 80 ans, l’US Air Force l’invite à voler comme copilote à bord d’un chasseur supersonique F-101. Elle est heureuse comme une enfant.
Mlle Marvingt n’en a pas fini avec les exploits. En 1959, elle passe son brevet de pilote d’hélicoptère et l’année suivante, à 85 ans, se met aux commandes du Djinn, le premier modèle à réaction. En 1961, cette vieille dame à l’air si sage, au sourire espiègle, se lance un ultime défi, relier Nancy et Paris à vélo. Près de 400 km ! La femme alors la plus décorée de France s’éteint à 87 ans, le 14 décembre 1963, à l’hospice, dans le dénuement. Les yeux une dernière fois tournés vers le ciel, curieuse du grand mystère de l’éternité.
Marie Marvingt au Grand prix Aéro Club de France, 1910 © Wikimedia commons