Pas de fleurs s’il vous plaît
L’heure tourne, nous sommes tout juste prêts pour nous rendre chez nos amis Monampteuil. C’est la première fois qu’ils nous invitent à dîner. La question que l’on se pose à toute vitesse est grave : qu’apportons-nous ? Mais rien, assène péremptoire Grand-père qui sait comment recevoir et être reçu. Oui, rien, car l’on rend. Ce n’est plus l’usage, rétorque le petit-fils. Il y avait autrefois le paquet de bonbons pour les enfants. Impossible ! Certaines familles proscrivent les sucreries, les berlingots, les anis et autres douceurs. La boîte de chocolats ? Trop tard, nous n’y avons pas pensé, Le Nôtre est déjà fermé. Un champagne ? Ah, non ! Nous ne sommes pas suffisamment intimes, quand bien même, seules deux ou trois grandes marques seraient acceptables. Alors, une bouteille de vin ? C’est quand même chiche, même avec un Pichon Longueville de bonne année. Cela les obligerait à déboucher le flacon qui a été malmené durant le trajet.
Pas de bonbon, pas de chocolat, pas de champagne, pas de vin. Que reste-t-il, sinon, l’invariable bouquet de fleurs. Et nous aurons tout faux. Une fois sortis de la voiture en se contorsionnant, le papier du fleuriste froissé le sera davantage en le tenant d’une main et appuyant sur les touches du code de l’autre, et plus encore dans l’ascenseur un peu étroit., et plus encore en saluant la maîtresse de maison, d’un baise-main esquissé. Ce protocole accompli, cette dernière s’exclame sur la beauté et le parfum des fleurs, en se disant « mon Dieu, dans quel vase, vais-je les glisser ? ».
Et le rédacteur de ce billet entend sa tante Jeanne, qui était née en 1882 et morte centenaire, dire en haussant les épaules : « Pfft… apporter des fleurs, quelle inconvenance ! Comme si nous ne pouvions pas fleurir notre intérieur ! »
B. Kittle © Unsplash