Le protocole n’est pas une mise en scène
Vivre avec un style ou du moins en respectant un art de vivre serait-il une mutation du sens de l’honneur ? Un auteur, en quelques phrases, a récemment balayé l’étiquette et le protocole, jugeant qu’ils sont une mise en scène sans pièce de théâtre, des figures en somme que l’on dessine dans l’air. Le protocole, il est vrai, n’a pas bonne presse. Il peut signifier une contrainte figée voire des règles obsolètes. Il est pourtant bien pratique, ne serait-ce qu’autour d’une table. Voyez les hésitations, les balancements, les regrets des convives d’un dîner auxquels on a dit : « Pas de protocole, vous vous placez où vous voulez ». C’est à cet instant que la maîtresse de maison très libérée s’aperçoit qu’elle a oublié un couvert.
Nous nous souvenons du scandale diplomatique, provoqué par un membre du service du protocole, qui plaça lors d’une réception officielle l’ambassadrice d’un pays ami avec… les ambassadrices, autrement dit les épouses des ambassadeurs. La féminisation, en l’occurrence, ne fut pas protocolaire. Entre protocole et étiquette, il n’y a qu’un pas que l’on franchit aisément en abordant le savoir-vivre. Celui-là requiert une attention aux autres, à ceux quels qu’ils soient dans l’échelle de la société.
Si le protocole des lettres adressées à un cardinal comporte l’appellation d’« Éminence », celui de la correspondance destinée aux subalternes comporte l’appellation de « Monsieur ». « Hé, bonjour Monsieur du Corbeau » devrait-il être transformé en un « salut Corbeau » ? Sans autre façon. Ce n’est pas pour rien que le « Recueil des règles établies pour les honneurs et les préséances dans les cérémonies officielles » soit autrement désigné sous le nom de Protocole. Sans chef du protocole, comment introduirait-on les ambassadeurs auprès du président de la République ?
Il y a trois sortes de savoir, disait Talleyrand : « le savoir proprement dit, le savoir-faire et le savoir-vivre ; les deux derniers dispensent assez bien du premier. » Ce que mit en pratique Jean-Claude Brisville dans sa pièce Le Souper, mettant face à face Fouché et Talleyrand. Le premier, faute de connaissance du protocole domestique, but d’un trait son cognac ; le second, fort de connaissances anciennes, dégusta l’alcool selon un protocole gustatif que notre auteur pratique certainement sans y songer.
Et si vous avez un doute sur la façon de vous adresser à votre voisin de gauche (ou de droite), rien de tel que de consulter le guide du savoir-vivre de la dernière édition du fameux... Bottin Mondain bien sûr !
Ne manquez pas de lire, ou relire les billets suivants : « L’Impudique fourchette anglaise », « Le repas, tout un art ! », « Un repas : à la bonne heure ! » et Dîner ou souper ?
E. Molinaro, Le Souper, 1992 © WK.